Paul a 13 ans quand sa mère Sylvie DELAMARE se marie avec Emile ROUSSEL. Jusqu’ici il portait le nom de sa mère. En effet, mère célibataire Sylvie donne à son fils son nom de jeune fille. Paul DELAMARE change donc de nom, il s’appellera désormais Paul ROUSSEL.
Sylvie a 18 ans quand en juin 1945, elle part fêter l’armistice à Paris avec ses amies. C’est la fin de la guerre. La joie est sur tous les visages. Les soldats, fatigués par le combat, heureux d’être vivants malgré la tristesse d’avoir perdu des amis, tentent de retrouver un peu d’insouciance. Dans les cafés la musique joue toute la nuit, hommes et femmes se rencontrent, savourent ensemble la fin de la guerre. Les soldats sont vénérés, ils nous ont libérés. C’est avec Bradley que Sylvie passe la soirée, peut-être a-t-elle un peu trop bu, mais l’admiration et le respect qu’elle a pour lui sont réels. Ensemble ils parcourent les bords de Seine à vélo. Le vent léger d’un soir d’été vient renforcer leur insouciance et l’envie de se laisser aller à des plaisirs simples. Ils sont bien ensemble, à l’évidence ils se plaisent. Il est magnifique dans son habit de soldat. Elle n’a d’yeux que pour lui. Elle a la peau douce, il aime l’odeur de ses cheveux.
Il faut repartir. Le jour s’est levé, Sylvie rejoint ses amies, Bradley regagne les rangs. Chacun reprend le cours de sa vie. Lui au Canada, où il retrouve femme et enfants, Sylvie à Fontenay-le-Comte où son travail de fileuse l’attend. Bradley reste dans la mémoire de Sylvie, mais lui, se souvient-il de cette jolie jeune fille de 18 ans qui le réconcilia avec la vie un soir de juin ? Elle le porte en elle. 9 mois après cette soirée d’insouciance Sylvie donne naissance à leur fils, Paul.
A 13 ans on ne lui demande pas s’il est d’accord. Même s’il coulait des jours heureux auprès de sa mère et de sa grand-mère maternelle, il sait que le mariage de sa mère est une bonne chose pour elle.
Elever un enfant seule n’est pas facile.
Mais la relation entre l’adolescent et cet homme, qu’il ne connaît pas, est d’abord faite de tentatives de rapprochements timides, puis tendus, parfois une complicité semble apparaître. Mais Paul s’aperçoit vite que leur relation prend une tournure positive uniquement en présence de Sylvie et qu’en son absence son beau-père se montre normatif, souvent cassant avec Paul. La relation entre les deux ne se teintera pas de confiance. Paul acceptera sa présence uniquement pour sa mère.
A l’arrivée de son frère Charles, Paul vit l’exclusion du cercle familial. A l’évidence, il est traité différemment. Le plus douloureux pour lui est que même sa mère semble ne plus l’aimer autant. Lui est grand, on lui réclame plus de maturité et d’autonomie, comme si cela allait de paire avec le besoin de moins d’amour. C’est en tout cas ce qu’il vit à présent. De 14 ans l’aîné de son petit frère, Paul ne créé pas de liens avec celui qui lui a pris l’exclusivité, celui qui reçoit toute l’attention et tout l’amour. Des miettes, il n’en restera même pas pour Paul.
Heureusement l’école lui maintient son admiration, lui qui est brillant élève. Il aime apprendre, il aime ressentir l’approbation, le sourire de sa professeur de français devant son esprit fin comme elle le dit. C’est là qu’il aime être.
Il existe encore, on le voit, il n’a pas beaucoup d’efforts à faire, juste être lui. C’est confortable. On le pousse à des études supérieures après le baccalauréat qu’il aura haut la main. Mais lui c’est soldat qu’il veut être. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais quelque chose en lui le pousse à porter l’uniforme, il veut être formé au combat, défendre sa patrie.
A 17 ans, il quitte son foyer. Son beau-père est devenu violent. Il ne parvient pas à faire de Paul un enfant docile. L’amour de sa mère, Paul en sera en quête tous les jours. En vain. Elle le tient pour responsable de l’ambiance au foyer. Puisque cette famille ne veut pas de lui, il comblera son manque en entrant à l’école militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Elève sérieux, déterminé à devenir un officier reconnu, Paul décroche le concours dès la première année, il enchaine les 2 années de formation qui suivent et fait son année d’école d’application à Draguignan.
Muté à Laon-Couvron, Paul prend ses marques, il dirige un bataillon de 50 militaires, engagés ou appelés. Il sait imposer sa vision, avec tact mais fermeté. Ses soldats il les respecte. Il est dans son élément. L’armée, il ne le sait pas, coule dans ses veines.
A 21 ans, il rencontre Alice. Institutrice, elle admire cet homme pas comme les autres. Il est cultivé, soucieux du bien être des autres, mais avant tout il est passionné. Intransigeant sur le respect des valeurs, humaniste, il aura toute l’admiration de cette douce jeune femme. Bien sûr elle lui plait, elle lui rappelle sa professeur de français, elle lui reconnaît son intelligence. Mais Paul met la priorité sur son métier pour le moment. Il sait qu’il lui faudra imposer le rythme des mutations à une femme, il n’en a pas le coeur pour le moment.
Et puis Alice il la respecte.
Il a 25 ans, fort d’expériences en France et à l’étranger, Paul est nommé Capitaine et il part pour la
capital. 4 années se sont écoulées depuis sa rencontre avec Alice. Il ne l’a jamais vraiment oubliée, mais il pense qu’elle a fait sa vie, qu’elle est peut-être maman, qu’elle est heureuse. Elle, elle a toujours nourri secrètement le rêve de le revoir un jour. Aucun des autres hommes qu’elle a rencontrés n’a été assez complet pour mériter son amour comparé à Paul.
Mai 68 a donné à chacun l’opportunité de rencontres, l’amour est facile, accessible, sans tabous, mais ni Alice ni Paul ne rencontrent le vrai.
Il faudra attendre 1972 pour que leurs chemins se rejoignent à l’occasion d’un défilé militaire. Alice n’en manque aucun. Après sa première rencontre avec Paul, l’armée la fascine, elle qui pensait que ces hommes-là ne respectaient pas les femmes, ses certitudes ont changées. Paul défile avec ses hommes, lui devant, eux derrière, les yeux fixés loin devant, il ne s’accorde pas un regard sur la foule. Mais Alice l’a vu. Son coeur s’est mis à faire des bons dans sa poitrine, il ne faut pas qu’elle reparte sans lui avoir parlé. Est-il marié ? a-t-il des enfants ? Se souvient-il d’elle ? Les chances de le revoir à la fin du défilé sont minimes tant la foule est dense. Puis elle sent une main sur son épaule. Elle se retourne, c’est lui. Elle pense que ses jambes vont lui fausser compagnie. Il l’invite à boire un verre et lui présente ses hommes. Ils passeront le reste de la soirée ensemble, ce qui vaudra à Paul quelques rires de la part de son bataillon. Il s’en amusera aussi, lui qui a retrouvé la sensation qu’auprès d’Alice il peut être lui-même, comme à l’armée.
Ensemble ils se marieront par amour. Ils auront deux filles, Marie et Elise. Après s’être installée dans un pavillon de la banlieue parisienne, la famille doit partir s’installer dans le sud de la France. Paul est muté. Les filles adorent changer de maison, elles décorent leur chambre à chaque fois différemment, en fonction de leur âge, des modes. Leur famille est unie, c’est le plus important. Alice parvient à être mutée, mais elle ne sera plus jamais titulaire d’un poste d’enseignante, elle fera des remplacements. Son métier, elle l’aime toujours autant. Mais les séparations quand Paul part en mission à l’étranger lui pèsent. Elle aimerait partir avec lui. Mais elle sait bien que c’est impossible. Paul part dans des pays dangereux.
Ensemble, le couple décide de demander une mutation à l’étranger. Ce sera Mayotte qui leur sera proposé. Avec joie, les filles sont presque adultes maintenant, toute la famille voit ses affaires personnelles partir en conteneurs par bateau pour une Ile où elles vont découvrir une autre vie. Ce sera la dernière mutation en famille. Elise vit très mal le climat, la nourriture ne lui convient pas, elle tombe malade. Il faut la rapatrier en France. Paul restera encore 1 an loin de sa famille, Alice et Marie étant rentrées avec Elise.
Les filles poursuivent leurs études, puis quittent progressivement le nid familial, le travail les appelle ailleurs. Paul et Alice sont tous les deux, elle n’enseigne plus à l’école mais donne des cours particuliers à des enfants qui ont des difficultés, lui pense à prendre une retraite, mais espère une dernière mutation à l’étranger avant d’embrasser une carrière en école de formation militaire en tant que contractuel, ce qui permettrait au couple une stabilité méritée.
En 1995, Paul est donc envoyé à Djibouti. Il part pour une mission de 6 mois. Le pays est en guerre, mais Paul n’a rien à craindre, en tant qu’officier il est protégé. Son poste stratégique permet d’élaborer les meilleurs plans d’attaque, de contourner les lieux chargés et de faire en sorte que tous ses hommes reviennent vivants. Sous la tente de commandement, ce jour-là, Paul est témoin d’une déflagration. Le véhicule de l’armée française parqué non loin a reçu un missile, il est en feu. Paul entend des cris. Un de ses hommes, affairé à effectuer des petits travaux de réparation sur le véhicule, est coincé sous l’engin en feu. Tous les autres sont sur le terrain. Paul n’a pas le choix, il doit sauver son soldat. Il se dirige vers le véhicule, dit à son homme de ne pas paniquer, il arrive. Mais arrivé sur place, une deuxième déflagration fait exploser le véhicule et les deux hommes. Paul et son soldat ne survivront pas, ils meurent sur le coup.
Quand Alice reçoit l’appel du Colonel, elle sait que quelque chose ne va pas. Sa vie ne lui appartient plus, elle veut disparaître, elle veut le rejoindre. La vie sans Paul n’a pas de sens. Jamais elle ne pourra continuer seule sans lui.
Avec le soutien de ses filles, elle retrouvera pourtant le courage de se lever le matin. Elle connaîtra les joies d’être grand-mère, la vie est plus forte.
Et puis elle sait que son Paul n’est pas mort en vain. Sa vie il l’a consacrée à son pays. En devenant militaire il a marché dans les pas de son père, elle l’apprendra par Sylvie qui vieillira avec le regret de n’avoir pas assez dit à son fils combien elle l’aimait, lui le fruit d’un amour d’un soir dans les bras d’un beau soldat Canadien.
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