La biographie numérique pour matérialiser le lien et conserver les souvenirs
20/07/1997 - 29/07/2020 (Toulouse)
Il y a des histoires que l’on porte et qui demandent à être dites ; à être confiées à ceux qui pourront les entendre.
Les mots qui s’inscrivent ici sont nés du besoin d’une maman de faire quelque chose pour son fils. Ils sont nés de l’amour de Bénédicte pour son fils Thomas.
Ce sont des mots qui disent une nécessité : celle de restituer un garçon dans son histoire, pour que cette histoire ne disparaisse pas.
Le fil de ce récit est celui du lien qui unissait Bénédicte à Thomas.
C’est le récit d’un lien qui unit toujours une mère à son fils.
La fibre qui compose le fil de ce récit s’est enrichie, au cours des années, par les histoires collectées par Bénédicte.
Pour que Thomas « ne tombe ni dans le déni, ni dans l’oubli »,
il lui a fallu se faire exploratrice et tisseuse de liens.
Bénédicte a entrepris comme une quête : aller à la rencontre des amis de Thomas, de leurs paroles et des mots qu’ils avaient écrit, pour découvrir quelle était l’étoffe de la vie de son fils — au-delà de leur lien à tous les deux.
Parfois, les fils étaient emmêlés.
Parfois, certaines histoires ne pouvaient plus être dites.
Bénédicte a pris soin de ce qu’elle rassemblait, comme une fileuse qui transforme délicatement la fibre éparse en un fil robuste.
Pendant trois années, elle a filé sans répit.
Aujourd’hui, c’est comme si la pelote était prête.
Maintenant, il est temps de donner une forme à l’ouvrage.
Bénédicte m’a confié l’histoire de Thomas, telle qu’elle l’avait rassemblée.
Du fil de ses mots, une toile s’est tissée.
Cette toile, c’est les mots que vous allez lire — ou que vous entendrez — ici-même. Ici, s’esquisse un peu de qui était Thomas.
Mais Thomas est de ceux qui aiment
échapper aux étiquettes.
Cet ouvrage ne s’achève donc pas ici.
Toujours, il vous sera possible de broder sur cette trame ce qui vous liait à Thomas.
Peut-être ressentirez-vous le besoin de mettre en lumière
certaines couleurs de sa vie — comme pour enluminer ce tableau.
Peut-être aurez-vous le désir de recouvrir certains motifs
par ce que vous avez vécu — vous — dans votre relation avec lui.
Chacun, chacune à votre manière, et parce que des liens vous unissaient, vous avez accueilli en vous un peu de qui était Thomas. Vous vous êtes fait abris, pour lui.
Si vous le souhaitez, il vous est possible ici de partager — et de faire vivre — ce qui composait, pour vous, la vie de Thomas.
Lui, c’est Thom, c’est Billion, c’est Bil’s.
Parfois, avec ses copains, il s’est fait appeler « gars », « gros ».
Il paraît que pendant un temps, dans l’un des cercles d’amis,
ils se sont tous renommés « Kévin ».
Pour Bénédicte, souvent, c’était « mon grand ».
Son Thom, son petit’homme.
Si elle l’appelait Thomas, c’était de la voix qui gronde.
S’il aimait son nom de famille, Thomas, a compris Bénédicte, n’aimait peut-être pas beaucoup son prénom. Il ré-inventait celui-ci au gré de ses envies.
La plupart du temps, ce n’est peut-être pas Thomas que vous l’appeliez.
Mais depuis sa mort, ce nom s’impose.
Y a-t-il là comme un miroir de ce que raconte Delphine Horvilleur,
dans son livre Vivre avec nos morts ?
Dans son livre, Delphine Horvilleur raconte que, dans la tradition juive, il est courant de donner un nouveau nom au malade, au mourant. Ainsi, si la mort se présente à la porte pour venir chercher la vie d’un certain Moshé, il est possible de lui répondre tranquillement : « désolé, aucun Moshé n’habite ici. Vous êtes chez Salomon ». La mort se devra alors de faire demi-tour, elle repartira bredouille.
L’appeler Thomas aujourd’hui, de ce nom qu’il portait peu lorsqu’il était en vie,
est-ce une façon de ne concéder que cela à la mort ?
La mort a pris Thomas, mais Tom, Billion, Bil’s et tous les autres noms qu’il a choisi de porter lui résisteront. Et Thomas, si attaché à échapper aux étiquettes, trouve alors encore ici un peu de sa liberté.
Thomas est un garçon qui aura toujours 23 ans ; qui a vécu 23 années pleines de vie. Si la mort fait partie de son histoire, cette histoire-là est bien plus vaste que sa fin.
Alors tentons de raconter combien Thomas était vivant dans sa vie.
Tentons de dire quelles étaient les failles et les trésors de celle-ci.
Lorsque je demande à Bénédicte de me décrire Thomas, un sourire s’épanouit sur son visage. « Il était beau garçon », me dit-elle.
« Il se tenait droit, il était fin. Il avait de larges épaules, était bien bâti »
Thomas n’a jamais fait de sport, et pourtant, il était musclé, tonique.
Bénédicte, vous me racontez que,
dès la sortie de la maternité,
« Thomas levait déjà la nuque !»
La sage-femme en avait été très surprise :
cet élan vers le monde mettait en lumière
une tonicité très inhabituelle chez un nourrisson.
Thomas était un garçon joyeux, souriant, qui aimait la vie.
Vous me dites, Bénédicte, que Thomas « avait une voix ».
Une voix grave qui lui donnait, presque malgré lui, une stature de leader.
Quand il était petit, il arrivait que cette voix grave lui joue des tours : difficile de passer inaperçu lorsqu’il discutait en classe avec ses copains ! Vous me partagez alors son côté râleur, il se révoltait contre ça »…
Thomas exprimait, dénonçait,
ce qui le mettait en colère,
et l’injustice en faisait partie.
Thomas avait l’esprit vif.
Alors qu’il était encore tout petit, vous vous souvenez Bénédicte, que vos amies vous soulignaient l’aisance qu’avait votre fils à s’exprimer ; la richesse précoce de son vocabulaire. Thomas aimait « la précision des mots » et portait une exigence : celle que la parole soit juste.
Devant la télévision, à l’écoute d’une émission,
il pouvait alors s’agacer de la langue de bois et de la pauvreté d’un échange.
Vous vous souvenez que Jessica — la sœur de cœur de Thomas lorsque vous viviez avec Claude — vous avait dit qu’il était impossible de se poser devant la TV avec Thomas, qu’on ne pouvait « rien entendre » tant il ne pouvait s’empêcher de réagir.
Vous ne vous en rendiez plus compte,
et peut-être étiez-vous aussi admirative de la vivacité d’esprit de votre fils.
Thomas aimait développer une pensée, des idées, et il était reconnu pour cela.
Une histoire vous revient : Thomas a travaillé un temps comme agent de production à la Toulousaine. Il n’était qu’intérimaire, de passage, mais lors d’une restructuration de l’activité il n’a pas hésité à faire part de ses idées.
Celles-ci ont été mises en œuvre, et aujourd’hui encore, on vous a fait part que ses préconisations sont appliquées avec succès.
Après un parcours scolaire tumultueux, Thomas a choisi de faire un BTS en Economie Sociale et Familiale. Dans cet univers très féminin, le jeune homme a su séduire ses professeurs par son engagement et son intelligence. Au sein de cette classe, Thomas a trouvé une place particulière. Dans les mots d’une de ses camarades, il est décrit comme « un rayon de soleil, une personne bienveillante, cultivée, intéressante et intéressée ».
Bénédicte, je sens une immense tendresse en vous quand vous me dites « il était vraiment très étonnant ». Vous me partagiez alors combien Thomas adorait raconter des histoires. Il lui suffisait d’ailleurs de voir un film une seule fois pour pouvoir raconter celui-ci en détail.
Une passion cinéphile partagée avec son papa,
lui qui était projectionniste lorsque Thomas était petit.
Thomas vous racontait la vie des autres, celle de ses amis.
Depuis sa rencontre avec Monsieur Géant, son instituteur de CM1, il se passionnait pour l’Histoire. Plus tard, il se plongea dans les subtilités de la géopolitique.
Thomas était un autodidacte, un humaniste, un idéaliste.
Vous voyez en lui une grande générosité,
un imaginaire vaste, un « puits d’idées ».
Thomas parlait beaucoup de ses idées, des histoires qui croisaient sa vie.
Il vous semble aujourd’hui, Bénédicte,
qu’il parlait peut-être assez peu de lui…
Thomas était tourné vers les autres, « il était intéressé par les plus petits » me dites-vous. Vous me partagez combien vous avez pu être étonnée et attendrie, lorsque vous habitiez à Venerque, de voir l’attention que Thomas portait aux plus jeunes.
Même quand il était avec sa bande de copains, il n’hésitait pas à sortir du groupe pour prendre le temps de jouer avec les plus petits.
Il prenait soin d’eux, et les petits venaient le chercher, l’aimaient et le respectaient pour cela.
Thomas était également à l’aise avec les plus grands.
Dès tout jeune, vous le perceviez Bénédicte comme étant « très mature ». Il savait trouver sa place au milieu des plus âgés et aimait contribuer à la discussion. Thomas était très proche de son papi Fernand. Il était heureux et fier d'être présent pour les 100 ans de mémère et vous me montrez une photo du dernier anniversaire de celle-ci.
Ce jour-là, en décembre 2019,
toute la famille s’était réunie pour les 100 ans de mémère.
Sur la photo, les yeux de Thomas pétillent
et on sent l'amour qu’il porte à son aïeule.
Lorsque vous me racontez l’enfance de Thomas, vous me partagez vos moments de tendresse. Vous aimiez regarder des dessins animés ensemble, Petit-Pied, L’Âge de glace…
Un grand sourire vous vient.
Vous me racontez combien vous aimiez tous les deux la scène du toboggan dans L’Âge de glace : à peine la scène terminée, vous la rembobiniez pour la regarder et en rire de nouveau !
Pendant l’enfance de Thomas, vous avez vécu un temps avec Luc et son fils Maxime. Thomas vivait en résidence alternée et ce n’était pas tout le temps facile pour lui d’imaginer que vous passiez du temps avec Luc et Maxime, en son absence.
De cette période, vous me racontez la complicité tissée autour de la Wii, arrivée à la maison lorsque Thomas avait sept ans. Thomas était vif, « il mettait la pâtée à tout le monde » et personne n’arrivait à le battre : dans les jeux vidéos, il se faisait appeler « SuperToto »
Lorsque votre fils n’était pas avec vous, vous me racontez Bénédicte que vous vous entraîniez, comme pour tenter de ne pas vous sentir trop ridicule face aux supers scores de Thomas.
Maxime et Luc s’essayaient aux jeux, eux aussi, mais rien n’y faisait :
à côté de Thomas, vous étiez tous de petits joueurs.
L’enfance de Thomas est aussi un temps où il a fallu vous construire votre propre monde pour lutter contre la violence de ce qui s’imposait à vous.
Lorsque vous évoquez votre séparation avec le papa de Thomas, vous me dites que cette situation ne serait plus acceptée par la justice aujourd’hui. Qu’il y avait une grande violence à imposer à un tout petit de vivre dans ces conditions.
Thomas vous manquait, beaucoup, tout le temps.
Parfois, il vous manquait même lorsqu’il était près de vous.
Chaque semaine, il vous a fallu — à tous les deux — trouver des chemins pour vous retrouver.
Vous me présentez alors les deux petites statuettes d’éléphant qui vous ont tant accompagnées. Il y avait là un petit éléphant et un plus grand. ; Thomas et vous.
Lorsque Thomas se sentait fâché contre vous, il éloignait le bébé éléphant de sa maman.
Lorsque le temps des retrouvailles était venu, il le rapprochait d’elle.
À cette époque-là, il vous a fallu tordre les proverbes pour les faire soutenant pour votre fils : « loin des yeux, près du cœur » lui avez-vous appris.
Thomas a eu confiance en cette phrase qui traduisait votre lien. Vous me racontez sa stupeur lorsque, lors d’un repas, il entend pour la première fois la forme la plus commune de cette phrase : pour lui, il était évident que ces personnes ne connaissaient pas le vrai sens des mots !
Plus tard, après l’enfance, il vous faudra
trouver de nouveaux chemins pour vous retrouver.
Vous me racontez les dimanches après-midi passés chez vous, dans votre salon, à parler sans fin avec Thomas et à refaire le monde ensemble.
Ensemble, vous passiez du temps de qualité.
Vous me racontez aussi des rires partagés : alors que Thomas à 16 ans, vous partez sur les routes de l’Aveyron pour rejoindre son cousin Guillaume. Sur le trajet, vous croisez des panneaux signalétiques mettant en vigilance sur le passage de moutons. Vous n’aviez jamais croisé ces panneaux auparavant et ceux-ci ont éveillé la gourmandise de Thomas : il ne pouvait s’empêcher d’y voir comme un kebab sur pattes !
Vous avez été touchée, Bénédicte, de ce que vous perceviez de la relation de Thomas à ses cousins Aurélien et Guillaume : « ils se sont adoptés tout de suite tous les trois » me dites-vous. C’était joyeux entre eux, et vous pouviez voir combien ils s’aimaient et aimaient jouer ensemble.
Le regard que vous portez sur votre fils Bénédicte, est souvent plein d’émerveillement, admiratif.
Vous n’en reveniez pas de voir combien ce petit garçon tenait le coup face aux bousculades de la vie. Combien il parvenait à ré-inventer de nouveaux liens, à rencontrer ceux qui devenaient ses amis, partout où il vivait.
Pour vous, il y avait de la violence dans tout ce que Thomas devait traverser enfant. Et j’entends combien votre cœur de maman est meurtri et aurait aimé protéger son fils de toutes ces épreuves.
Il avait une grande déchirure entre son papa et vous.
Thomas, petit garçon, ne vous a jamais dit quoi que ce soit sur son père.
« Il n’a jamais mis de l’huile sur le feu et il avait une grande loyauté envers son père » me dites-vous.
Parfois, vous perceviez chez Thomas le besoin de protéger son papa.
Et cela, parfois, pouvait être violent pour vous.
Thomas vous voyait forte, il avait confiance en vous.
Votre relation était précieuse à ses yeux, il le disait à ses amis.
Il était fier du lien que vous aviez su tisser — recréer — entre vous. Et je sens une même fierté chez vous Bénédicte : « tout avait été fait pour abimer ce lien » me dites-vous. Et pourtant, vous avez — tous les deux — osé prendre soin de ce lien.
Votre relation s’est recréée petit à petit. Elle s’est ré-inventée alors que vous étiez malade, que vous luttiez contre le cancer.
Thomas voyageait à cette époque, visitait Amsterdam, séjourna quelques mois en Angleterre.
Il vous appelait tous les deux jours et a raconté à des amis combien « il était fier de vous, de ce que vous avez traversé ensemble ».
Tout n’était pas simple non plus.
Vous aviez chacun vos meurtrissures, vos parts d’ombre. « Thomas ne m’a pas épargnée » me dites-vous. Vous me racontez que, parfois, votre habit de maman n’était pas évident à porter. Que Thomas pouvait être sans complaisance, qu’il assumait ses actes, ses ressentis même quand ceux-ci pouvaient heurter ceux qui étaient en face de lui. Il vous savait forte et, parfois, peut-être a-t-il cherché à percevoir quelles étaient les limites de votre force. Vous me racontez cela Bénédicte, et j’entends aussi dans vos mots, combien il peut être dur pour un enfant de voir son parent malade, de découvrir sa vulnérabilité.
Lorsque vous vous battiez contre le cancer, Thomas ne vivait pas avec vous. Pourtant, il avait auprès de vous une place d’aidant.
Un Noël, votre sœur Laurence, par une petite phrase adressée à Thomas, vous a fait entendre combien, pour lui aussi, ces moments avaient pu être difficiles. Et vous me dites avoir perçu comme une gratitude chez Thomas, celle de se voir reconnaître son vécu par sa marraine.
Lors de notre échange, Bénédicte, vous me montrez des photos de Thomas, des photos de vous deux. Ces photos racontent votre tendresse réciproque, et disent combien vous étiez proches — presque fusionnels.
Vos corps se parlaient, vous échangiez des idées. Mais il vous semble, aujourd’hui, que, peut-être, vous ne vous racontiez pas beaucoup l’un à l’autre. Aujourd’hui, vous vous dites que vous auriez aimé revisiter avec lui le chemin des souvenirs ; lui raconter et lui faire raconter vos vécus partagés. Comme pour l’encrer en lui, comme pour l’ancrer en lui.
Il y a quelques années, Claude, votre ancien compagnon,
vous a fait un magnifique cadeau lors de l’anniversaire des 18 ans de sa fille Jessica.
Tout au long de la soirée, Thomas venait vous voir, dans un va-et-vient entre la salle et vous. Vous l’accueilliez, peut-être souriante, peut-être un peu distraitement. À un moment donné, Claude vous a parlé. Il vous a dit : « Tu as entendu le nombre de fois où ton fils t’a dit qu’il t’aimait ? ».
Claude vous a fait ce cadeau : celui d’entendre, autrement, combien Thomas tenait à vous.
Je vous propose à présent d’écouter une musique qui est, pour certains d’entre vous, associée à Thomas. Il s’agit de My Life Be Like, de Grits, une musique qui a longtemps été la sonnerie de son téléphone portable.
Thomas aimait la fête, la liberté. Il était pour l’indépendance, pour la joie, pour le partage. « La vie devait être plaisir », et « la vie sans amis, c’est comme une tartine sans nutella », voilà ce qu’il disait.
Durant plusieurs années, il a été bénévole sur des festivals, à Garorock, au Reggae SunSka, au Rototom… La musique avait une place importante dans sa vie… et d’autres choses aussi.
À un moment de nos échanges, vous m’avez parlé Bénédicte du mot de passe de son ordinateur « Bleubleu420 ». Vous aviez vite envisagé ce à quoi pouvait faire référence le terme « bleu » : c’était la couleur préférée de Thomas, celle de la mer, celle du ciel — vaste, immense espace de liberté.
Le choix du chiffre « 420 » vous a longtemps intrigué. Qu’est-ce que cela pouvait représenter pour Thomas ? Vous avez mené l’enquête mais ce 420 restait un mystère pour vous.
La réponse vous est apparue en ce début de mois d’avril 2023.
Une réponse liée à son voyage aux États-Unis : là-bas, le chiffre 420 correspond à une date 4/20, le 20 avril. La date fédératrice des consommateurs de cannabis, une date à laquelle est associée la revendication de la légalisation, de la liberté de consommer.
Thomas consommait du cannabis. Quand vous évoquiez cela avec lui, il vous disait réserver cette consommation aux moments festifs.
Plus tard, bien plus tard, vous avez compris en parlant avec ses amis de lycée que, à cette période, la fête avait lieu tous les jours.
Que recherchait Thomas lorsqu’il consommait du cannabis ? Était-ce une façon pour lui d’être en lien avec les autres, avec ses amis ? Une manière d’échapper au monde ? Un espace de liberté qu’il voulait défendre ?
Vous ne pouvez vous empêcher de penser, Bénédicte, que cette plante a fragilisé votre enfant. Qu’elle a nourri, et peut-être même ouverte, certaines failles en lui.
Peut-être Thomas a-t-il suivi des chemins sinueux en espérant trouver sa liberté. Peut-être cherchait-il parfois à s’évader de lui-même.
Vous me dites Bénédicte que, parfois, Thomas a pu trouver que vous vous en faisiez trop pour lui.
Vous vouliez prendre soin de lui.
Vous me dites que Thomas comprenait cela, mais il vous demandait aussi de le laisser faire comme bon lui semblait. Il aurait aimé un amour sans inquiétude, et vous disait « T’inkiet maman, je gère ! »
Lorsqu’il n’était pas avec vous, vous aviez besoin de faire des choses pour lui. Vous regrettiez de ne pas pouvoir partager avec lui des moments de joie, des moments de beauté et de partage. À défaut de ne pouvoir vivre cela avec lui, lorsque vous faisiez les boutiques pour vous, vous ne pouviez vous empêcher de de faire des achats pour lui.
Comme une manière de poursuivre le lien
lorsque vous ne pouviez être ensemble…
Aujourd’hui encore, vous laissez parfois
vos pas vous mener dans ces rayons
pour hommes que vous avez arpentés en pensant à lui.
Thomas avait confiance en votre lien et pouvait s’appuyer sur celui-ci pour explorer sa liberté. Si les heures de conduite accompagnées n’ont pas été qu’une partie de plaisir, il a vécu l’obtention du permis comme un passeport pour la liberté. Et cette liberté s’est incarnée dans la voiture de son grand-père Fernand : une Clio qui faisait la fierté de Thomas.
Cette voiture ne vous laissait pas indifférente non plus Bénédicte : car c’est avec celle-ci que votre fils avait la liberté — et le plaisir — de venir vous voir enfin à son rythme, à votre rythme à tous les deux.
À la fin du lycée, Thomas a eu besoin de temps pour aller à la rencontre de lui-même. Et vous, Bénédicte, vous lui avez permis de prendre son envol.
Avec votre soutien, il a pu trouver de quoi gagner un peu d’argent, des remplacements en intérim, qui lui ont permis de partir en voyage.
Un jour, Thomas a eu un rêve avec l’un de ses amis : ils allaient faire pousser — des morilles sur du marc de café ! Ensemble, ils ont trouvé un terrain, ils ont pris contact avec France Morilles. Bénédicte, vous avez vu Thomas passionné par ce projet. Si cette aventure faisait rire, il en parlait avec un tel enthousiasme, une telle conviction, qu’il passionnait les autres à sa suite : « on signe où ? » lui demandait la famille, prête à investir dans ce projet.
La vie n’a pas pris le chemin qu’espérait Thomas et le projet morille n’a pu venir au monde. Thomas a perdu des repères, il a dû se réinventer.
Un jour, Thomas a retrouvé un chemin vers lui-même et vers ce qui pourrait le mettre en joie. Il a choisi de faire un BTS en économie sociale et familiale, voulait être dans le soin, dans la relation à l’autre.
Vous me racontez votre soulagement, Bénédicte,
celui de voir, de sentir votre votre fils s’épanouir.
Pour Thomas, il était important d’assumer ses choix. Il a payé lui-même ses études, il a mis toutes ces économies dans cette première année d’étude. Vous l’avez soutenu, Bénédicte, l’aidant à payer un studio dans le centre-ville.
Thomas avait envie de se poser. Un jour, il vous a dit « Maman, maintenant, j’ai envie d’une vie à la « vieux con », de rentrer après le boulot, de préparer de bons petits plats, de me poser… ».
Parmi les nombreux et nombreuses artistes qu’écoutait Thomas, il y avait Keny Arkana. Et peut-être pouvons-nous entendre dans les paroles de la chanson Tout tourne autour du soleil comme un écho à la manière dont Thomas percevait la vie à présent.
La vie m'a dit "Sèche tes larmes, le Ciel ne se venge pas
Reste toi, sois forte ou le monde te changera
Accroche-toi à ta flamme et transmute la fable
Relève-toi vite à chaque fois que ce monde te fait un croche-patte
Ne cultive pas la haine ou elle te mangera
Guéris car si tu es mal en toi-même ce sera pareil autre part
Si tu cherches un coupable, regarde-toi dans la glace
Ta réalité tu la fais, elle n'est rien d'autre qu'une question d'octave"La vie m'a dit "Le bonheur dépend de ton regard
De ce que tu dégages, ceux qui n'ont pas peur du vide ne tombent pas
Car la peur attire tout à elle, magnétique
Les erreurs se répètent parce qu'on cultive l'amnésie"
Elle m'a dit "Ne juge pas, évite les poncifs
Canalise tes analyses car tes pensées te construisent
Ne banalise jamais, tout est unique, médite ça
Et si tu ne sais où aller, recueille-toi le Ciel te guidera"La vie m'a dit qu'elle était plus grande que tout ce que l'on croit
Abondante, on l'imagine austère
Elle m'a dit "ma puissance est en toi
Fais le vide et retrouve-la, fais le vite et retrouve-toi"
Lumière divine, oui, bien plus grande que tout ce que l'on voit
Enfant oublié de notre Terre
Elle m'a dit "Le soleil est en toi et tout tourne autour du soleil"La vie m'a dit "Écoutes les mots que je te souffle
Prends-toi en main plutôt qu’appeler au secours
Ancre-toi dans le présent et son mouvement
Apprendre à donner vraiment c'est ne rien attendre en retour
Rien n'est trop tard si tu crois t'être trompé de route
Écoute l'intuition, elle fera disparaître le doute
Elle te relie à toi-même, te délivre
Chaque humain voué à briller que le Ciel te bénisse"La vie m'a dit "N'aie pas peur de te tromper
Les erreurs font grandir et puis faut oser pour être entier
Y'a que toi qui décidera du sens de ton sentier
De lâcher prise, de résister, de voir la vie avec un grand V
Seul l'amour peut guérir et ça personne ne pourra te l'enlever
Maîtrise ton esprit, tout ce que tu vis, tu l'as engendré"Elle m'a dit "Ne te rends pas, ton âme ne se vend pas
Aime tout ce qui vit et tout ce qui vit te le rendra"La vie m'a dit qu'elle était plus grande que tout ce que l'on croit
Abondante, on l'imagine austère
Elle m'a dit "ma puissance est en toi
Fais le vide et retrouve-la, fais le vite et retrouve-toi"
Lumière divine, oui, bien plus grande que tout ce que l'on voit
Enfant oublié de notre Terre
Elle m'a dit "Le soleil est en toi et tout tourne autour du soleil"La vie m'a dit "Crois en toi, rien n'est impossible
Fuis l'orgueil, c'est par lui que les cœurs s'appauvrissent
Reste intègre fille de la Terre, mensonge ne sera jamais vérité,
même si des foules entières l'applaudissent
Parle vrai pas comme ces mots qu'on a trop dit
Si tu n'ouvres pas ton coeur, comment veux-tu que la lumière s'introduise ?
Reste fidèle à tes convictions, aime sans condition"
Elle m'a dit "Pose-toi les bonnes questions"
La vie m'a dit "Toi seule connait tes rêves
Préserve-les car les dévoiler c'est risquer de les perdre
T'accroche à rien, ici-bas tout est éphémère
Reste près de ton cœur même si tu passes par les ténèbresTout part de toi, ta réalité te reflète
Parce que l'on voit ce que l'on croit et que l'on est ce que l'on souhaite être"
La vie m'a dit "Ose-moi, reconnais-toi en l'Autre, car l'Autre est un autre toi"La vie m'a dit qu'elle était plus grande que tout ce que l'on croit
Abondante, on l'imagine austère
Elle m'a dit "ma puissance est en toi
Fais le vide et retrouve-la, fais le vite et retrouve-toi"
Lumière divine, oui, bien plus grande que tout ce que l'on voit
Enfant oublié de notre Terre
Elle m'a dit "Le soleil est en toi et tout tourne autour du soleil"La vie m'a dit "N'oublie pas la magie de la sagesse
Dompte tes pensées, car d'elles émane chaque mot puis chaque geste
Ma fille les germes du concret fleurissent d'abord dans la tête
Enfant de la Terre tu portes le secret de la vie"
Si ce texte existe aujourd’hui, c’est parce que Thomas n’est plus en vie.
Pour que Thomas ne tombe « ni dans le déni, ni dans l’oubli », il nous faut alors poser des mots sur la fin de sa vie.
Vous avez souhaité, Bénédicte, que l’histoire de Thomas puisse être racontée.
Le dernier chapitre de l’histoire de la vie de Thomas a été douloureux.
C’est une page de son histoire qu’il a tenté de traverser du mieux qu’il le pouvait.
Quelle a été le vécu de Thomas à ce moment-là ?
Cette page de son histoire a été comme déchirée, jetée au vent.
Vous avez tenté, Bénédicte, d’en collecter les morceaux.
De rassembler les fragments, par-delà la déchirure, pour tenter de comprendre ce qui avait précipité la fin de la vie de Thomas.
Aujourd’hui, un récit est né à partir de ces morceaux épars.
Ce récit regarde la vie de Thomas depuis votre regard de maman, de celle qui aurait aimé tout faire pour sauver son enfant.
Thomas aimait, chérissait, sa liberté.
Si nous pouvons tenter de suivre le chemin de ses pas, si nous essayons de comprendre quel a été le fil de ses pensées, une part de son vécu restera empli de questions.
Une part de ce qu’il a vécu nous échappera toujours.
Cette part lui appartient.
« La vie, ce n’est pas attendre que l’orage passe,
c’est apprendre à danser sous la pluie. »
Thomas, dans l’enfance, a pu être un enfant nostalgique, rêveur.
Il était aussi un enfant robuste, qui a toujours su s’adapter quand la vie le bousculait. Thomas savait danser sous la pluie.
Mais Thomas a vécu comme un orage intérieur,
un temps tourmenté qui a éprouvé sa capacité de danser.
Une tempête qui n’a pas voulu se calmer.
Partout où la vie a mené Thomas, il a su tisser des amitiés.
Il a su se lier, nouer des liens forts avec ceux qui l’entouraient.
Il y a, pour chacun de nous, des liens qui sont comme des amarres.
Ces liens sont comme des lignes de vie : ils structurent nos élans et nos envies.
Parfois, certains de ces liens se transforment et nous apprenons à en nouer de nouveaux. Ces périodes de déliaison peuvent nous faire vivre un temps d’incertitude. Comme un vent turbulent qui nous bouscule intérieurement.
Ce vent nous mènent au-delà des chemins que nous connaissions, et un jour, souvent, nous finissons par rejoindre l’éclaircie.
Ces traversées éprouvantes jalonnent les vies.
Elles nous obligent à nous ré-inventer, coûte que coûte.
Thomas s’est construit sur ces liens qui se réinventent.
Il en avait fait sa force : il savait aller à la rencontre de l’autre.
Parmi les liens qu’il a su nouer, certains étaient devenus des amarres.
Un jour, il a perdu certaines de ces amarres.
Un jour, Thomas a pu vous dire, Bénédicte, que cette période bousculante, l’année de ses 20 ans, lui avait fait vivre un certain isolement dans sa vie amicale. Il vous a raconté avoir vécu « des situations malaisantes » qui se sont répétées.
Thomas était remué par ce qu’il vivait, mais il connaissait ces périodes de turbulences, il avait déjà traversé des tempêtes.
Petit à petit, il s’est dessiné une nouvelle voie, un nouveau projet professionnel.
Il a repris des études, il s’y est épanoui.
Il plantait là une graine qu’il espérait voir germer, prendre racine :
celle de sa vie à venir.
Thomas y croyait, fort.
Il avait en lui une énergie puissante et vibrante.
Et vous, Bénédicte, vous étiez tellement fière de lui, fière de ce môme qui grandissait. Vous avez vu l’adulte qu’il devenait, et vous avez perçu devant lui la vie qu’il avait choisie.
Mais il y a eu de nouvelles tempêtes.
L’incertitude a obscurci son ciel.
Lorsque vous me racontez les épreuves traversées par Thomas à cette période de sa vie, vous me parlez Bénédicte d’une « série noire ».
Pris séparément les uns des autres, vous vous dites qu’il aurait pu surmonter ces événements. Mais ceux-ci se sont enchaînés.
Il y a eu dans sa vie de nouvelles déchirures,
des liens qu’il aurait aimé solides et qui se sont effilés.
Il y a eu la perte de certaines libertés,
dont celle de conduire, puisque son permis lui avait été retiré.
Il y a eu la fin d’un espoir qu’il avait nourri : celui d’avoir une autonomie financière ; une autonomie qui lui aurait permis de financer la seconde année de son BTS et des promesses non tenues.
Ces événements vécus par Thomas s’inscrivent dans une période de l’histoire qui a bouleversé beaucoup de vies.
Thomas a traversé cette longue tempête intérieure en 2020.
Comme nous tous, il a vécu ces temps incertains : le temps du confinement, des restrictions, des mesures sanitaires qui nous ont tenu à distance les uns des autres.
Pour vous, Bénédicte, cette période trouble
a peut-être empêchée Thomas de reprendre pied.
Vous me dites : ces mesures sanitaires, c’était le pire de ce qui pouvait arriver à Thomas : « Son oxygène se trouvait dans les liens ».
J’entends combien votre colère est grande lorsque vous évoquez ces mesures. Vous me parlez d’un engrenage sans fin, comme une spirale infernale, un système qui a isolé et fait souffrir tellement de personnes.
Cette période n’a pas permis à Thomas
de mobiliser les ressources qu’il connaissait ;
celles qu’il mobilisait depuis l’enfance
lorsqu’il devait retrouver un ancrage.
Aujourd’hui, vous mettez des mots, Bénédicte, sur cette voie sans issue où Thomas a été précipité en quelques mois.
Ces mots disent que Thomas, sûrement, a vécu une dépression fulgurante.
Thomas a lutté.
Il a tout fait pour ne pas vous inquiéter.
Peut-être, aussi, a-t-il tenté de cacher son état à ses amis.
Vous avez compris que le sommeil et l’appétit avait quitté Thomas.
Ses pensées ne lui laissaient plus aucun répit.
Face à ce qui tournait dans sa tête,
a-t-il cherché le grand sommeil ?
A-t-il souhaité ne plus se réveiller ?
A-t-il vraiment perçu que son corps était trop fatigué
pour absorber sans risque ces médicaments ?
Lorsque nous parlons ensemble, Bénédicte, de la fin de la vie de Thomas, vous me dites ceci « des fois, je me demande s’il s’est suicidé ».
Ce mot permet-il de dire ce qu’à vécu Thomas ?
Vous, sa maman, lorsque vous posez votre regard sur son vécu — sur les événements bousculants qui se sont succédés — voici ce que vous me dites « mon fils est décédé, et il est mort de chagrin et désespoir ».
Qu’en dirait Thomas ? Qu’en penserait-il ?
Sur cela, il restera toujours une part de mystère.
Le suicide impose des questions sans réponse.
Lorsqu’un de nos proches met fin à ses souffrances, il y a souvent en nous un désarroi immense.
Peut-être pouvons-nous alors écouter les mots du chanteur Yves Jamait ; des mots qui clament l’émotion qui nous bouleversent, des mots qui disent l’impuissance partagée.
♫ Qu’est-ce qui t’as pris ? — Yves Jamait ♫
Qu'est-ce qui t'a pris ?
Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ?
Personne ici
Ne sait mais tout le monde regrette.Qu'est-ce qu'on a fait ?
Ou plutôt qu'est-ce qu'on n'a pas fait ?
On sait qu'on sait
Qu'on sait qu'on le saura jamais
Alors on pleure
Et nos larmes dans ton silence
Gorgent nos cœurs
Palliant le vide et l'absenceY a ceux qui prient, y a ceux qui boivent
Dans les deux cas, ça sert à rien, mais nous on s'mettra pas à genoux.
Y a ceux qui prient, y a ceux qui boivent
Comme nos larmes coulent le vin, alors on boit tant qu'on est beaux.Tout l'monde est là
Tout l'monde est venu pour te voir.
Personne n'y croit
Et pourtant c'est pas un bobard.
C'est du sanglot
Des phrases qu'on ne finit pas
Que faire des mots
Quand la douleur reste sans voix
Et puis ce cri
Qui hurle au fond de nos entrailles
La faucheuse qui
Nous fouille de sa froide ferraille.Y a ceux qui prient, y a ceux qui boivent
Dans les deux cas, ça sert à rien, mais nous on s'mettra pas à genoux.
Y a ceux qui prient, y a ceux qui boivent
Comme nos larmes coulent le vin, alors on boit tant qu'on est beaux.Qu'est-ce qui t'a pris ?
Qu'est-ce qui t'est passé par la tête ?
Personne ici
Ne sait mais tout le monde regrette.
Qu'est-ce qu'on a fait ?
Ou plutôt qu'est-ce qu'on n'a pas fait ?
On sait qu'on sait
Qu'on sait qu'on le saura jamais.Et elle résonne encore en moi
Cette voix qui part en éclats
En éclats de rire et de joie
Et elle résonne encore en moi
La voix d'un homme droit.
Lorsque vous posez votre regard sur l’histoire de Thomas, Bénédicte, vous la relisez à la lumière de ce que vous savez aujourd’hui sur les chemins qui peuvent mener au suicide.
Vous comprenez que Thomas a mis en place des stratégies pour ne pas vous inquiéter.
Peut-être essayait-il alors,
maladroitement,
de prendre soin de vous.
Un jour, il vous a ouvert la porte de son cœur.
Il s’est confié sur certaines des blessures qu’il portait.
Il a eu confiance en votre capacité de pouvoir les entendre.
Depuis sa mort, vous avez cherché à comprendre tout ce qu’avait traversé Thomas.
Vous avez lu sur le sujet, vous avez participé à des groupes de parole.
Vous vous êtes appuyée sur des thérapeutes pour éclairer ce qui pouvait l’être.
Nous avons pris le temps d’explorer ce que vous avez collecté dans ce cheminement. Et votre voix abrite une immense tristesse quand vous me dites ceci : “Thomas cochait presque toutes les cases dans les facteurs de vulnérabilité”.
Il y a en chacun de nous des blessures, des fragilités.
Souvent, c’est aussi en celles-ci que nous puisons nos forces.
Un jour, Thomas vous a dit « Je suis né par amour, mais pas dans l’amour. ». Cette phrase est forte, violente peut-être, mais elle vous a semblé juste.
Quand vous regardez l’enfance de Thomas, vous portez le poids des regrets. Vous vous dites « nous nous sommes comportés comme des cons d’adultes » et vous pensez que tout n’a pas été fait pour préserver votre fils.
J’entends dans vos mots tout l’amour et toute la souffrance
d’une maman qui aurait aimé protéger son enfant.
J’entends dans vos mots ce poids qui semble si lourd,
celui du sentiment de culpabilité.
Lorsque je vous demande ce que Thomas disait de cette période, et notamment des années qui ont suivi l’école primaire, vous me dites ceci : “Thomas n’a jamais exprimé les changements du collège comme une maltraitance”.
C’était une vie pleine de ballotement, certes.
Une vie passée à naviguer entre deux rivages :
celui de son père, celui de sa mère.
Mais tout ceci, c’était sa vie.
C’était ce qu’il connaissait de la vie.
Il y avait des secousses dans ce vécu.
Mais Thomas avait appris à voguer malgré elles, à travers elles.
Tout au long de sa scolarité, il a su tisser des amitiés.
Il était plein de ressources.
Dans les temps de turbulences, il a toujours nourri les liens du cœur,
faisant passer ceux-ci avant les attentes scolaires.
Vous me racontez Bénédicte, combien « Thomas avait horreur qu’on lui mette une étiquette, qu’on l’enferme dans quelque chose ».
Thomas refusait d’être perçu comme une victime. Il pouvait trouver la société injuste, porter des idéaux et souhaiter changer celle-ci, mais il vous a toujours fait comprendre ceci : il ne se considérait pas comme la victime de sa propre histoire.
Thomas luttait pour que l’on ne pose pas sur lui un regard limitant.
Thomas luttait, toujours, pour conserver sa part de liberté.
Le suicide marque peut-être la fin de la vie de Thomas.
Mais la vie de Thomas ne se limite pas au suicide.
« Pourvu qu'à nos enterrements, il nous soit permis de ne pas nous résumer à nos morts, et de faire sentir combien dans la vie, nous avons été en vie. »
Delphine Horvilleur, Vivre avec nos morts
Un jour, il a fallu organiser les funérailles de Thomas.
Par delà le choc de sa mort, il fallait faire avec les méandres dans lesquels vous ont plongé les directives contradictoires liées à la pandémie.
Il vous a été dit que seul un certain nombre de personnes pouvaient entrer dans le crématorium. Bénédicte, soutenue par votre sœur Laurence, vous avez demandé à l’une de ses amies, Anita, de vous aider, de vous guider pour faire ce choix impossible.
C’était une lourde tâche, et vous avez fini par vous y refuser.
Il n’y aurait pas de choix, pas comme ça.
Ceux qui souhaiteraient, ceux qui pourraient être présents viendraient.
Les premiers présents entreraient dans le crématorium, et si certains ne pouvaient se joindre à vous, vous vous retrouveriez tous ensemble ensuite.
À la sortie du funérarium, les amis de Thomas ont filé devant : ils ont tout fait pour être là assez tôt au crématorium, pour pouvoir être auprès de Thomas, autour de lui.
Et les portes du crématorium se sont ouvertes ; et tout ceux qui étaient présents ce jour-là sont entrés avec vous.
Bénédicte, vous parlez avec tendresse de cet élan des amis de Thomas. De leur présence si importante à vos yeux.
Après la cérémonie, vous êtes allés prendre une bière, tous ensemble — une « bonne bière » comme les aimait Thomas.
Il fallait être ensemble, honorer les liens.
J’entends dans le texte de Jean-Claude Ameisen comme un écho à ce que vous avez vécu ce jour-là.
« La vie, c'est ce qui tient en lien, qui réunit, qui fait circuler.
La mort, c'est la déliaison.Elle délie les gens les uns des autres,
moi de mon propre corps et des miens.
C'est ce qui fait si peur.C'est pourquoi il faut rester relié dans ces moments-là,
rester ensemble et être en proximité,
pour lier la vie tout autour de la mort.Le deuil, c'est transformer une présence en absence.
Puis une absence en présence.On n'accompagne pas celui qui part :
on est accompagné par celui qui part.Le deuil, c'est permettre à l'autre de vivre à l'intérieur de soi…
Nous sommes l'empreinte, la trace, de ce qui a disparu depuis longtemps. Tout ce que nous apprenons nous a été transmis par d'autres. »
Jean-Claude Ameisen,
cité dans La mort tout conte fait, d’Alix Noble Burnand
Depuis ce jour-là, presque trois années ont passées.
Il y a eu des dates anniversaires,
il y a eu des retrouvailles avec les amis de Thomas.
Dans votre famille, Bénédicte, la mort de Thomas a resserré des liens.
Et vous, vous avez parcouru un long chemin.
Vous me dites que ce qui reste de Thomas est vivant,
parce que ce n’est pas figé.
La première année qui a suivi son décès, vous l’avez vécue comme une fusion ; comme si vous aviez accueilli Thomas en vous.
À cette période-là, chaque fois que vous regardiez le ciel, il y avait toujours une part de ciel bleu.
Vous y avez vu comme un message ; c’était pour vous une invitation à l’espoir, quelque chose qui vous disait « ça va aller maman ».
La seconde année, vous me dites lui avoir « rendu sa liberté ».
Accueillir Thomas en vous n’était plus possible.
L’honorer, pour vous, c’était aussi ne pas le retenir.
Cette année-là, un soir, vous avez rêvé
de Thomas s’élevant dans une grande lumière.
À présent, cela va faire trois ans que Thomas est mort.
C’est une nouvelle date anniversaire qui s’annonce,
et vous avez ressenti le besoin de porter son histoire au monde.
Dans votre intention, je perçois quelque chose de doux, plein de respect pour Thomas et pour ceux qu’il a aimé. J’y vois comme un écho à la chanson d’Yves Duteil intitulée Les dates anniversaires.
♫ Les dates anniversaire — Yves Duteil ♫
J'ai un profond respect des dates anniversaires
Ces portes que le Temps dispose autour de nous
Pour ouvrir un instant nos coeurs à ses mystères
Et permettre au passé de voyager vers nous.Je suis toujours surpris par les coïncidences
Qui nous font un clin d'œil du fond de leur mémoire
En posant des bonheurs sur les journées d'absence
Et nous laissent à penser que rien n'est un hasardPeut-être est-ce un moyen lorsqu'ils se manifestent
Pour ceux qui sont partis dans un autre univers
De nous tendre la main par l'amour qui nous reste
Pour nous aider parfois à franchir des frontièresEst-ce nous qui pouvons au travers de l'espace
Influencer ainsi la course des années
Ou serait-ce un lambeau de leur chagrin qui passe
En déposant des fleurs sur le calendrierIl existe en tous cas dans les anniversaires
Une part de magie qui fait surgir d'ailleurs
Les visages ou les mots de ceux qui nous sont chers
Des êtres qui nous manquent et dorment dans nos coeursIls sont là quelque part pour un instant fugace
Et dans les joies souvent qu'ils partagent avec nous
Se rendorment certains que rien n'a pris leur place
Et que leur souvenir nous est resté très douxSans amour notre vie n'est plus qu'un long voyage
Un train qui nous emporte à travers les années
Mais celui qui regarde un peu le paysage
Ouvre déjà son cœur pour une éternitéAu-delà des paroles et de la bienveillance
Il existe des voies difficiles à cerner
Faites de souvenirs, d'amour et de silence
Et que bien des savants vous diront ignorerElles sont un privilège au cœur de la souffrance
Un baume pour les jours qu'on ne peut oublier
Qui pourraient avoir l'air d'être sans importance
Mais qui soignent des plaies difficiles à fermerJ'ai un profond respect des dates anniversaires
Ces portes que le Temps dispose autour de nous
Pour ouvrir quelquefois nos cœurs à ses mystères
Et permettre au passé de voyager vers nous…Pour ouvrir quelquefois nos cœurs à ses mystères
Et permettre au présent de nous sembler plus doux…
« Si tu disais à l’enfant enfermé dans le ventre de sa mère :
il existe au-dehors un soleil flamboyant,
un monde de lumière, de sources légères,
de hautes montagnes, de plaines ondulant sous le vent…
et toi, face à tant de merveilles,
tu restes enfermé dans cette obscurité ? »Nacer Khemir La mort tout conte fait
Dans le dernier message qu’il vous a envoyé, Thomas vous disait qu’il vous aimait. Aujourd’hui, Bénédicte, l’une des choses qui vous manque le plus, c’est le regard que Thomas posait sur votre vie.
Ce manque est en vous, il est immense.
Mais il y a aussi en vous une confiance,
une douceur.
Thomas savait que vous étiez une battante, il avait en lui une force que vous lui aviez transmise. Et après sa mort, vous avez su, vous aussi, que vous aviez les ressources pour faire face. D’ailleurs, si Thomas prenait la parole aujourd’hui, vous me dites qu’il vous dirait peut-être ceci : « t’inquiète maman, tu gères ».
Aujourd’hui, vous vous impliquée dans l’association Les Mamans Lumineuses, vous y êtes « pair aidant » et vous vous faites soutien pour celles et ceux qui traversent des épreuves similaires à votre vécu.
Thomas accompagne votre vie.
Il est présent dans les objets qui vous entourent à votre domicile.
Vous portez parfois des vêtements qui lui appartenaient, et il vous porte ainsi à son tour, à sa manière.
La couleur bleue, qu’il aimait tant, ponctue votre vie.
La tarte aux fraises, gâteau rituel de son anniversaire, c’est pour lui que vous la mangez.
Il y a ces petits gestes qui colorent votre quotidien,
qui donnent à Thomas comme un supplément d’existence.
Et puis il y a plus vaste, plus grand.
Il vous semble souvent que Thomas vous envoie des signes.
Lorsque vous avez affronté le cancer, Bénédicte, vous avez un temps pensé mourir. La maladie vous a mené à vous questionner sur votre spiritualité : en quoi croyez-vous ?
Vous m’avez fait part d’un sentiment fort : celui « d’appartenir à un grand tout ».
Ce sentiment-là vous a peut-être été transmis, il s’inscrit dans une filiation : cette manière de voir la vie, vous la retrouvez chez votre père.
À cette période-là, vous avez partagé vos questionnements spirituels avec Thomas. Vous avez été surprise, alors, de voir combien certains de ces cheminements étaient une évidence pour Thomas.
Cette évidence d’appartenir à un grand tout, il la partageait aussi.
Où est Thomas aujourd’hui ?
Si vous deviez répondre à cette question, Bénédicte,
vous me diriez peut-être qu’il n’est pas loin de vous.
Peut-être est-il auprès de mémère :
partie deux mois et demi avant lui,
vous aimez penser qu’elle a été là pour l’accueillir..
Parfois, Thomas vous fait comme un clin d’œil.
Vous me racontez ainsi le singulier moment que vous avez vécu
avec votre papa aux retours des funérailles de Thomas :
vous étiez tous les deux assis sur votre balcon
et vous avez vu dans le ciel de grands ronds lumineux.
Un phénomène étrange qu’aucun de vous deux n’a pu expliquer.
Etait-ce Thomas qui vous faisait signe ?
Parfois, il y a juste à savourer la poésie du moment…
Aujourd’hui, il y a en vous une grande confiance.
Il y a peu, vous avez recroisé Claude, lui qui a partagé votre vie et celle de Thomas pendant quelques années.
Claude vous a demandé :
« Rassure-moi, Thomas est toujours le garçon souriant là où il est ? »
Vous lui avez dit oui.
Pour vous, Thomas a « retrouvé sa liberté ».
« Il est en paix » me dites-vous.
C’est depuis votre propre paix intérieure que vous avez choisi de raconter qui était Thomas pour vous. Vous avez souhaité partager son histoire, votre vécu.
Et pour clôturer ce texte,
il y a ces quelques mots que vous souhaitez partager.
Ici, Bénédicte, vous souhaitez transmettre ce que vous percevez comme le message de Thomas — ce qui, pour vous, a guidé sa vie :
« Prenez soin des autres, de ceux que vous aimez. »
Et peut-être est-ce, Bénédicte,
ce que vous avez essayé de faire ici :
prendre soin, à votre manière,
de tous ceux qui ont eu une place
dans la vie de Thomas.
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